© AFP PHOTO/ELMAR BUCHNER/STUTTGART UNIVERSITY
Improprement qualifiée de « Bouddha » la statuette figurerait plutôt un demi-dieu de la tradition Bön, une forme de syncrétisme entre bouddhisme et traditions pré-bouddhiques au Tibet empreintes de chamanisme. Elle serait la représentation du roi Vaisravana.
Son existence n’a été révélée que tout récemment, après la mort en 2007 de son propriétaire, un collectionneur. L’objet fut mis aux enchères et acquis par un autre amateur.
Le mythe du surhomme
Comment l’œuvre d’art s’est-elle retrouvée dans cette collection ? Mystère… Mais on peut remonter la piste qui l’a fait venir des hauts plateaux tibétains jusque dans les rayonnages d’une collection privée. C’est une expédition nazie, soutenue par Heinrich Himmler, le chef de la SS, qui l’a dénichée au Tibet entre 1938 et 1938. Dirigée par Ernst Schäfer, un zoologue devenu nazi par « opportunisme », l’expédition avait pour mission de retrouver les origines de la race aryenne.
Dans la mystique nazie en effet, la race supérieure idéalisée devait provenir d’un lieu mythique, le Shambala des Tibétains. Obnubilés par leurs délires raciaux, les dignitaires nazis envoyèrent pas moins de trois expéditions « scientifiques » vers le Tibet, en même temps que des expéditions sportives étaient lancées à l’assaut des sommets himalayens dans le but de glorifier les « surhommes » germaniques. L’une de ces expéditions compta parmi ses membres Heinrich Harrer, connu pour ses « Sept ans d’aventure au Tibet » dans lesquels il raconte son amitié avec le jeune dalaï lama après s’être enfui d’un camp d’internement anglais durant la guerre. Selon certaines sources d’ailleurs, Heinrich Harrer bénéficia de ses contacts antérieurs avec l’expédition de Ernst Schäfer pour trouver refuge à Lhassa. Pour certains, il avait même reçu pour mission de sa hiérarchie nazie pour tenter de récupérer du matériel laissé sur place par Schäfer et son équipe.
La svastika de « l’homme de fer », tout sauf un symbole nazi
« L’homme de fer », lui, fit le voyage de retour vers l’Allemagne dès 1939. Sans doute intéressa-t-il Himmler venu en personne accueillir l’expédition à son atterrissage à Berlin, en raison de la svastika ornant son torse. Détourné par les nazis, le symbole religieux de l’éternité est en effet l’un des plus anciens symboles de l’humanité. Très commun dans l’univers bouddhiste et hindouiste, il n’est pas plus étrange que cela qu’elle se retrouve sur des objets sacrés. Mais aux yeux des nazis, nimbé déjà du mystère que lui conférait la densité de la matière dans laquelle il était taillé, l’objet n’en prenait que plus de valeur. Dans quelles mains « l’homme de fer » est-il passé ensuite ? Dans quelle officine du régime a-t-il été étudié ? Nul ne le sait. Il ne réapparaît qu’en 2007.
Son nouveau propriétaire, resté anonyme, accepte alors que la statuette soit soumise à des analyses pour en déterminer la composition précise. Et ce que l’équipe du professeur Elmar Buchner trouve est à nouveau très surprenant: « l’homme de fer » a été taillé dans une roche météorique, et pas n’importe laquelle puisqu’il a été façonné dans l’ataxite de la météorite de Chinga, tombée sur Terre il y a 15 000 ans environ, aux confins de la Mongolie et de la Chine.
A ce jour, « l’homme de fer » -dont certains chercheurs suspectent d’ailleurs qu’elle figurerait plutôt un guerrier mongol qu’un demi-dieu du panthéon tibétain- est la seule statue connue taillée dans une météorite. Rien qu’à ce titre, elle est exceptionnelle. Imaginer ensuite qu’elle pu avoir été façonnée il y mille ans et qu’elle voyagea ensuite vers le Tibet au gré de mystérieux échanges jusqu’à se retrouver dans les malles d’une expédition nazie confère à l’artefact une aura toute particulière. De celles qui font s’envoler le cours de certaines pièces sur les marchés de l’art.
Thomas Nagant avec Times Live
Copyright © 2022 RTBF