Les catholiques du Kazakhstan – La Nef – La Nef

Le pape François était au Kazakhstan du 13 au 15 septembre pour participer au VIIe Congrès des dirigeants des religions mondiales et traditionnelles. Ce voyage est l’occasion de découvrir la petite minorité des catholiques de cette ex-république soviétique. Entretien avec le Père Pierre Dumoulin qui a participé à la fondation du séminaire de Karaganda (Kazakhstan). Curé et professeur à Marseille, il enseigne toujours dans les pays de l’ancienne URSS.
La Nef – Comment avez-vous connu le Kazakhstan ? Et comment décririez-vous ce pays ?
Père Pierre Dumoulin
– En 1992, le saint pape Jean-Paul II ayant nommé de nouveaux évêques dans les pays de l’ancienne URSS, il les a envoyés étudier une semaine à la faculté de théologie de Lugano, Mgr Corecco, l’évêque de ce diocèse, étant un grand spécialiste de droit canonique. J’enseignais alors l’Écriture Sainte dans cette faculté et je parlais russe. J’ai fait cours à ces nouveaux évêques et ils m’ont demandé de venir enseigner chez eux, notamment l’évêque qui veillait sur toute l’Asie Centrale. Il a demandé à mon évêque que je puisse aider au Kazakhstan pendant quelques mois chaque année. C’est ainsi que j’ai commencé un cycle de cours pour les professeurs d’histoire des religions, puis j’ai fondé une propédeutique qui est devenue un séminaire et j’ai pris soin des premiers séminaristes. Je continue à aller de temps en temps à Karaganda et à Astana pour donner des récollections et j’enseigne les séminaristes par visio-conférences deux jours par semaine.
Ces trente dernières années la situation politique et religieuse a énormément évolué au Kazakhstan. C’est un pays terrible sur le plan climatique : il est le prolongement de la Sibérie, avec un climat continental. Neuf mois d’hiver et trois mois d’été, avec des températures de moins quarante à plus quarante et même des pointes au-delà. Le réchauffement climatique y est très sensible.
Il y a trente ans, il y avait un équilibre entre présence chrétienne et présence de l’islam. Aujourd’hui, beaucoup de chrétiens sont partis en Occident ou en Russie et l’islam est majoritaire à 70 %. C’est un islam sunnite, modéré et intégrant les pratiques ancestrales des Kazakhs, anciens nomades.
L’Église catholique, de son côté, a développé ses structures, invité des prêtres étrangers, construit des églises et des centres religieux, grâce à des aides venues de l’Occident et des grandes ONG catholiques. Le gouvernement est laïc et cherche à préserver la paix par une position de neutralité bienveillante vis-à-vis des religions pacifiques dont fait partie l’Église catholique. Le pape Jean-Paul II est venu en 2001, à l’invitation du président Noursultan Nazerbaïev. Il a été magnifiquement reçu, tant par le gouvernement que par la population. Les gens sont venus parfois de très loin dans de vieux autobus ou même à pied pour voir le pape, c’était impressionnant !
Qui sont les chrétiens du Kazakhstan et quelle est leur situation ?
Les chrétiens du Kazakhstan sont majoritairement orthodoxes, ce sont en particulier des descendants de Russes émigrés ou plutôt déportés dans ces régions. Les communautés et sectes d’origine protestante sont nombreuses et très prosélytes.
Les catholiques représentent tout de même environ 300 000 personnes, descendant des déportés de Staline : ils sont d’origine allemande, polonaise, ukrainienne, lithuanienne ou de familles mixtes. Leur nombre tend à baisser car beaucoup partent vers leurs pays d’origine, c’est pourquoi leur pourcentage a fortement diminué. Mais grâce à ceux qui sont restés, il y a aussi des Kazakhs et des Russes qui découvrent la foi après des décennies d’athéisme et arrivent parfois à l’Église après des expériences de communautés diverses. Ils sont répartis en trois diocèses et une administration apostolique. La plupart vivent au centre du pays, dans les diocèses de Karaganda et Nour-Sultan. Souvent de familles pauvres établies dans d’anciens villages de déportés, certains sont venus dans les villes car l’exode rural est important. Il y a une foi profonde, un désir réel de rencontrer Dieu, une soif réelle d’absolu dans le cœur de nombreuses personnes qui ont gardé la foi malgré l’athéisme d’État, et aussi de la part des jeunes qui attendent de l’Église une réponse à leur quête.
Pourquoi le pape François est-il allé au Kazakhstan ?
Depuis 2003, sous l’égide de l’UNESCO, le gouvernement kazakh organise tous les trois ans un « Congrès des religions mondiales et traditionnelles » à Nour-Sultan (redevenue Astana), la capitale. Il cherche ainsi à favoriser le dialogue religieux et surtout à éviter toute forme de fanatisme qui pourrait diviser le pays. C’est la VIIe rencontre de ce type. L’OSCE et les agences de l’ONU participent à cette rencontre dans un pays riche en présences religieuses minoritaires, notamment juive et bouddhiste. L’État laïque se doit de préserver les droits et veiller sur les devoirs de chaque communauté. L’enjeu est donc de taille pour l’Église catholique car le Kazakhstan est un des rares pays de l’Asie Centrale où les droits des catholiques sont respectés. De nombreuses églises ont pu être construites et les congrégations religieuses sont bienvenues, pouvant s’insérer dans la vie civile par des écoles et des centres de soin ou autres œuvres sociales. Lors des rencontres précédentes, le Vatican a envoyé des cardinaux pour représenter l’Église, en signe d’intérêt et de gratitude pour cette politique d’ouverture et de dialogue. Le but du pape est, sans doute, de manifester qu’un respect mutuel et une collaboration sont possibles avec les autorités dans des pays à majorité musulmane, si l’État respecte les droits fondamentaux et la liberté religieuse. Sa présence est un honneur pour le pays, une forme de remerciement et d’encouragement.
Que retenez-vous principalement de ce voyage du pape au Kazakhstan ?
Je retiendrai de ce voyage du pape François au Kazakhstan quatre points majeurs :
– Une Église aux périphéries – Pour ce qui a sans doute été un de ses derniers grands déplacements, le pape invalide a choisi une terre de frontière, au cœur des steppes, où l’Église catholique est une petite minorité, écrasée entre l’islam et l’orthodoxie. Une Église des pauvres et des déportés, des oubliés et des défavorisés, mais aussi des nouveaux convertis. C’est un appel à l’Évangile des Béatitudes, à la confiance en Dieu seul, à l’Espérance. Comme en Géorgie, il a repris les paroles de Jésus : « Courage, petit troupeau, il a plu au Père de vous donner le Royaume… » N’ayons pas peur d’être minoritaires, soyons du levain, sel de la terre et lumière du monde. Telle est l’Église du XXIe siècle, les schémas d’hier sont obsolètes !
– Une Église de la paix et du dialogue – La venue du pape à cette conférence en a surpris – voire choqué – plus d’un. Ce n’est ni du relativisme ni de l’irénisme. Garder l’intégrité de la foi n’empêche pas le dialogue. Au contraire, la solidité dans la foi permet des rencontres courageuses. À la suite de saint Jean-Paul II, François veut entraîner les leaders religieux dans un dialogue de paix pour le bien de l’humanité. Comme le Christ, il n’a pas peur de s’abaisser, il se fait humble parce qu’il croit à la puissance de l’Évangile et à l’action de l’Esprit : il voit large parce qu’il a foi en la Résurrection et refuse d’enfermer l’Église dans le tombeau de l’individualisme ou l’orgueil du corporatisme. Il ne défend pas une forteresse assiégée, prête à s’écrouler : il croit que Jésus est vainqueur et se bat pour Lui ! Voilà pourquoi, saisissant l’occasion que lui offrait le président Tokaiev, il s’est fait messager de paix.
– Une conjonction manquée qui en dit long – Pendant que le pape était à Nour-Sultan, le président chinois y est venu pour des échanges commerciaux. Il n’a pas souhaité saluer le pape. Cela en dit plus que des discours. Les leaders chinois se lancent à la conquête économique du monde libre, mais son âme ne les intéresse pas. Un matérialisme pur et dur, implacable, se cache sous l’idéologie communiste. Pareillement, le Patriarche Kyrill ne s’est pas déplacé, alors qu’il était invité. L’occasion était pourtant belle, sur un territoire qu’il revendique, de manifester l’unité chrétienne au cœur d’un État musulman. Mais il n’a pas saisi cette opportunité de vivre l’Évangile. Cela aussi est un avertissement pour les disciples du Christ…
– Un vibrant appel à la prière – Quittant un moment ses discours préparés, François, les larmes aux yeux, a supplié les catholiques de prier pour la paix. Il venait d’être informé de la reprise des hostilités dans le Caucase et de l’évolution des combats en Ukraine. Il a rappelé la puissance du chapelet. Cet appel, crié au cœur de l’ancienne URSS, devrait nous mobiliser. Pourrions-nous oublier qu’à Fatima, la Vierge a dit : « Seule Notre-Dame du Rosaire vous obtiendra la paix » et qu’elle a demandé à six reprises de prier le chapelet ?
Comment se situe politiquement et géopolitiquement le Kazakhstan depuis son indépendance ? Quels liens a-t-il avec la Russie, et aussi avec la Chine et l’Occident ? Et quelle est sa position
sur le conflit russo-ukrainien ?

Le Kazakhstan a une position charnière entre la Russie et la Chine. Une immense autoroute et une grande voie de chemin de fer traversent le pays pour relier les deux États. Désireux de s’ouvrir vers l’Occident pour garder son indépendance, le Kazakhstan demeure cependant dans la sphère d’influence russe, et Moscou l’a bien fait sentir en envoyant des troupes pour rétablir l’ordre lors des émeutes de l’an dernier. L’État ne peut pas ne pas être inféodé à la Russie, mais il doit aussi gérer ses relations avec la Chine et il tire sa richesse de son commerce avec l’Occident. L’Europe est son premier partenaire commercial, devant la Russie et la Chine. Le pays exploite ses ressources minières importantes en collaboration avec l’Occident : l’uranium (40 % de la production mondiale), des métaux (or, chrome, cuivre, zinc, plomb) et des terres rares, du pétrole et du gaz. Il y a donc une savante alchimie à pratiquer pour ne pas blesser le gros Ours du Nord tout en commerçant avec l’Ouest et en facilitant le transit des produits chinois vers la Russie et l’Europe ou des échanges réciproques vers la Chine de l’Ouest.
Ceci explique une position neutre dans le conflit russo-ukrainien et une prise de distance avec le Kremlin, qu’expriment l’aide humanitaire envoyée en Ukraine via la Pologne et des déclarations officielles qui, sans condamner la Russie, savent voir qui est l’agresseur sans impliquer l’armée kazakhe. Le pays veille à ne pas entraver les sanctions ou permettre de les détourner. La population soutient majoritairement l’Ukraine dans ce conflit, des manifestations ont été organisées et ont été autorisées par le gouvernement.
Propos recueillis par Christophe Geffroy
© LA NEF n°351 octobre 2022


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