TRIBUNE. Alors que l’identité chrétienne est régulièrement au cœur de polémiques politiques, le frère dominicain Adrien Candiard rappelle que pour les croyants, le véritable « héritage chrétien » n’est pas un patrimoine, si riche et précieux soit-il, mais bien la vie éternelle.
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« L’identité chrétienne, ce n’est pas la cathédrale de Chartres, mais le royaume de Dieu »
L’identité chrétienne tournée vers l’avenir doit composer avec cette dimension chrétienne de l’identité nationale, qui est, quant à elle, ancrée dans le passé.
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Saint Albert le Grand dit quelque part, en empruntant une image platonicienne, que le chrétien est un arbre dont les racines sont au ciel. Cette image paradoxale souligne un aspect essentiel : s’il existe évidemment une identité proprement chrétienne, elle s’ancre moins dans le passé que dans l’avenir. Nos racines, qui nous nourrissent et nous font grandir, c’est notre destination, cette condition divine à laquelle Dieu nous appelle.
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Les chrétiens des premiers siècles avaient une conscience très nette de la rupture qu’opérait pour eux leur adhésion à la foi chrétienne par rapport à leur origine païenne, dont la culture était souvent marquée par la célébration de l’autochtonie, de la cité, et donc une forme de célébration collective de soi. À cette satisfaite tautologie, « Nous sommes ce que nous sommes », le christianisme répondait : « Vous êtes enfants de Dieu, mais vous devez encore accueillir ce que vous êtes. » L’identité chrétienne est alors vécue non comme une réalité qu’on porte en soi, mais comme un don à recevoir et à faire grandir, qui oblige précisément à sortir de soi-même.
Notre situation n’est plus aussi simple. Si le Christ est toujours notre avenir, le christianisme fait aussi partie de notre passé, en particulier de notre passé collectif : l’histoire de la France est inséparable de la foi chrétienne, qui l’a très profondément marquée jusqu’à une période très récente, dans ses valeurs, ses idées, sa sensibilité, sa littérature, ses institutions, son architecture… L’identité chrétienne tournée vers l’avenir doit composer avec cette dimension chrétienne de l’identité nationale, qui est, quant à elle, ancrée dans le passé. Il n’y a à cela rien d’incompatible, mais l’articulation des deux éléments est parfois un peu délicate.
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Ce passé chrétien commun ne fait pas des catholiques les gardiens du musée national. En effet, ce passé n’appartient pas seulement aux seuls catholiques, mais à tous, croyants ou non. Les églises de village ont à ce titre un double statut : elles sont avant tout des lieux du culte chrétien, qui est leur raison d’être et la cause de leur construction ; mais elles sont aussi bien souvent le seul monument historique de l’endroit et son principal lieu de mémoire, d’une mémoire commune à tous. Bien qu’elle l’ait fait pour des motifs tout à fait différents, la loi de 1905, en municipalisant la propriété de ces églises dont l’usage reste affecté au culte catholique, a dans les faits assez bien rendu compte de ce double statut.
Mais les églises ne sont pas les seules à être partagées : les croyants le sont aussi. C’est qu’ils ne sont pas seulement des chrétiens dont les racines sont au ciel ; ils sont aussi, en même temps, des citoyens qui, à ce titre, ont aussi des racines dans le passé. Ils ne sont pas absents des discussions qui traversent la société française sur la place de cet héritage chrétien, dans une France où les catholiques sont devenus assez récemment minoritaires.
Il est normal que les chrétiens prennent leur part de ces débats, et il est assez normal qu’ils y expriment parfois aussi une forme de nostalgie. Mais ils doivent garder à l’esprit qu’il s’agit là d’une discussion politique, et non religieuse ; comme croyants, ils ne peuvent se contenter de cette fonction notariale : le véritable « héritage chrétien », ce n’est pas un patrimoine, si riche soit-il, mais bien cette vie éternelle dont Dieu nous a fait les héritiers. L’identité chrétienne, l’identité propre des chrétiens, ce n’est pas la cathédrale de Chartres, mais le royaume de Dieu – et c’est un amoureux de l’architecture médiévale qui le dit ! Au milieu des discussions sur ce qu’être français veut dire, ne perdons pas de vue que pour nous, l’essentiel reste de devenir ce que Dieu nous donne d’être, des fils et des filles de Dieu.
Ce texte est publié à l’occasion de notre séquence sur l’identité.
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