L'Île d'Ouessant, refuge breton de l'abeille noire – GEO

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Sur l’île d’Ouessant, dans un décor balayé par le vent et les embruns, s’épanouit une végétation rustique de bruyères, de ronces et de plantes marines. Reportage sur une île sauvage et mystérieuse, devenue le refuge de l’abeille noire.
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Doucement, à la pointe de Kadoran, le sentier côtier s’écarte du tapis de lande en fleurs pour mener le promeneur jusqu’au bord du monde occidental. A cette extrémité de l’île d’Ouessant, les falaises surplombent la houle d’une soixantaine de mètres de haut. D’ici, le regard s’échappe vers l’horizon, là où le ciel et la mer d’Iroise finissent par se confondre. Seules les silhouettes voisines du phare du Stiff et du sémaphore de la Marine nationale rappellent que les parages comptent parmi les zones maritimes les plus redoutables au monde.
EN IMAGES Ouessant, escale sauvage en mer d’Iroise
Difficile d’imaginer que ce décor saisissant puisse constituer un abri pour des colonies de petites ouvrières à l’activité inlassable. C’est pourtant bien au cœur d’un épais maquis de bruyères et de ronciers, derrière une petite barrière de bois peint, que se niche le rucher de Kadoran. Posées sur des moellons, une quinzaine de ruches sont protégées du vent et des embruns par des murets de pierre sèche. Des abeilles à l’abdomen sombre et aux pattes chargées de pollen vont et viennent. Ces butineuses sont des abeilles noires de Bretagne, une variante locale d’Apis mellifera, l’espèce endémique européenne, dont l’existence est menacée par les ravages d’un acarien parasite : Varroa destructor. « En 1978, un Ouessantin a rapporté les premiers essaims pour faire du miel, à titre amateur », raconte Jo Héré, 71 ans, le président de l’Association conservatoire de l’abeille noire bretonne (ACANB), qui veille sur une quarantaine de colonies locales. « C’était une première : traditionnellement, il n’y avait pas de ruches sur l’île. »
Pourquoi il faut sauver les abeilles ?
Depuis, l’abeille noire s’y est parfaitement acclimatée, mais elle y a aussi trouvé un refuge inattendu quand, au début des années 1980, le varroa, arrivé d’Asie, a décimé les ruchers sur le continent européen. A 20 kilomètres au large de la pointe finistérienne, hors de portée de vol pour une abeille infestée par le parasite mortel, Ouessant, la terre la plus occidentale de France métropolitaine, est ainsi devenue un sanctuaire. Et même, depuis 1989, un conservatoire à ciel ouvert pour l’abeille noire de Bretagne. « Ici, à l’abri des hybridations, l’espèce est pure à 99 % », poursuit Jo Héré. « C’est essentiel pour sa préservation. Cela nous permet également d’élever des reines noires et de les réintroduire progressivement sur le continent ». A l’inverse, deux arrêtés, l’un municipal, l’autre préfectoral, interdisent d’importer à Ouessant toute nouvelle colonie et tout matériel apicole usagé (ruches, cadres, extracteurs de miel…). En outre, l’île, longue de huit kilomètres pour quatre kilomètres de largeur, intégrée à la fois au parc naturel régional d’Armorique et au parc naturel marin d’Iroise, est un écosystème extraordinairement préservé. En l’absence d’agriculture intensive, l’usage de pesticides y est quasi nul. Quelque 650 hectares de frange littorale, notamment les pointes somptueuses de Pern, de Porz Doun ou de Penn Arlan, sont des sites classés et protégés.
Abeilles, bourdons, papillons : qui sont les pollinisateurs ?
En butinant ces étendues de landes sauvages, mêlant ronciers, genêts, ajoncs, et des bruyères maritimes, l’abeille noire fabrique un trésor : un miel à la robe sombre, très aromatique, au goût puissant, d’une pureté exceptionnelle. Ses multiples vertus, gustatives, mais aussi antioxydantes et anti- inflammatoires – ainsi que sa rareté —, en font un nectar recherché. À tel point que le parfumeur Guerlain a établi depuis 2009 un partenariat avec l’ACANB : en plus d’un soutien juridique et financier, la marque de cosmétiques achète près de la moitié de sa récolte de miel pour l’incorporer à une crème antirides. Le reste de la production, qui peut varier de 600 kilos à trois tonnes d’une année à l’autre, est mis en pot dans les locaux de l’association, au pied du phare du Stiff. L’été, les touristes qui viennent s’y promener et découvrir la vue exceptionnelle sur l’archipel voisin de Molène et la côte nord du Finistère, au loin, peuvent en profiter pour acheter un peu de cet élixir insulaire. Deux pots maximum par famille, au tarif de huit euros les 250 grammes.
Cette richesse naturelle a suscité des vocations. Près de Lampaul, le bourg de l’île, au hameau de Kerc’here, Romain Morin et Christophe Orlach, la quarantaine, commercialisent leur propre récolte, issue d’une quarantaine d’essaims établis essentiellement dans la moitié ouest de l’île. Les prix avoisinent les 56 euros le kilo, selon la taille des pots. « Œuvrer à la protection de l’abeille noire, et produire du miel nous permet de travailler sur l’île toute l’année », explique Romain Morin, qui préside depuis 2019 une autre association : le Conservatoire de l’abeille noire – apiculteurs de l’archipel de Molène et de l’île d’Ouessant (Canaamo).
Les deux collectifs, un temps en bisbille , finiront peut-être par unir leurs forces. Car, l’année dernière, pour la première fois, le varroa a été détecté sur l’île. Comment est-il arrivé ? Mystère. Mais, depuis, les colonies ont enregistré, en fonction de leur localisation, des taux de mortalité entre 25 % et 80 %. Conséquence : il n’y aura hélas pas de miel cette année… La maigre production servira de réserve vitale pour les nouvelles petites colonies, saines, que les apiculteurs vont devoir sélectionner, puis essaimer, afin de sauver leur cheptel.
Victime des flammes, le précieux miel de pin turc en sursis
Outre le nectar ambré et sucré de ses abeilles noires, Ouessant dispose, évidemment, d’autres attraits. A commencer par son splendide isolement. Enez Eusa – « l’île haute », en breton – est à deux heures trente de traversée depuis Brest. Au XIXe siècle, elle était surnommée « l’île des naufrages », ou « l’île des veuves », quand tous les hommes embarquaient sur des navires pour des mois, parfois des années. Elle est aujourd’hui encadrée par cinq grands phares, dont trois « enfers », comme les gardiens appelaient jadis les phares isolés en mer. Dès la nuit tombante, ils entament un envoûtant ballet lumineux. A la pointe de Pern, comme à celle du Créac’h, d’invraisemblables chaos granitiques, martelés par la houle d’ouest, donnent physiquement la sensation d’être au bout du monde. Au-delà de l’océan Atlantique, tout droit, c’est Saint- Pierre-et-Miquelon, et l’Amérique…
Chaque chemin, chaque sentier, dévoile un nouveau décor : une crique déserte, un bouquet de maisons aux volets bleus, bordées d’un ancien parc à moutons, un lavoir abandonné. « Nous ne sommes pas une station balnéaire », souligne Denis Palluel, 62 ans, maire depuis 1995. « Ouessant doit rester un lieu sauvage, mystérieux, où l’on peut s’égarer, se laisser surprendre ». Ici, les rues ne portent pas de nom et les maisons n’ont pas de numéro. Et le visiteur, à pied ou à vélo, doit souvent demander son chemin pour s’y retrouver parmi la centaine de toponymes bretons qui jalonnent le « caillou ». Ses 835 habitants à l’année – ils étaient plus du double il y a cinquante ans –, préservent jalousement un mode de vie impliquant entraide et débrouillardise.
Pour réduire la dépendance alimentaire au continent, la municipalité a impulsé la renaissance d’une agriculture locale, en bio. Ces quatre dernières années, un maraîcher et deux éleveurs laitiers ont répondu à l’appel à candidature. Marie et Thomas Richaud ont débarqué de la Drôme, fin 2020, avec une vingtaine de vaches laitières. Un événement : on n’avait plus aperçu un bovin à Ouessant depuis les années 1980. En dehors du lait frais, que des habitants viennent acheter en fin de journée à l’unité de traite mobile, le couple produit du beurre salé, de la crème, de la tomme et des yaourts. L’ensemble est écoulé auprès des particuliers, des restaurants et des trois hôtels locaux.
Charlène Créac’h, elle, est revenue vivre sur son île natale en 2015. Elle mène depuis l’année dernière un troupeau de 80 moutons. Au hameau de Locqueltas, près du grand phare noir et blanc qui porte le même nom qu’elle, Charlène fabrique du fromage de brebis, des yaourts et du fromage blanc. « Chaque jour, je m’émerveille du paysage, de la lumière toujours changeante », explique la bergère nouvelle génération, arborant tenue sportswear colorée et tatouage bouddhiste sur le bras. « J’ai un lien mystique avec ce bout de terre ». A l’heure de regagner le continent, sur le pont du dernier bateau, à mesure que s’éloignent les hautes falaises du Stiff, Ouessant révèle ce qu’elle est vraiment : un refuge grandiose, en fragile équilibre sur les flots.
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Pierrick Jégou
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