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Aubin Bouillé
07 juin 2022
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Alex Garland est de retour dans les salles de cinéma avec son troisième long-métrage en tant que réalisateur : « Men ». Porté par Jessie Buckley et Rory Kinnear, c’est une descente aux enfers impressionnante qui fait état de la condition féminine dans notre société moderne.
Peut-être que son nom ne vous dit pas grand-chose. Pourtant, Alex Garland est un cinéaste à suivre de très près. Il a d’abord débuté sa carrière en tant que romancier, dès la fin des années 1990 où il écrit plusieurs livres comme Le Tesseract (1999), Le Coma (2004) mais surtout La Plage en 1996 qui lui donne une certaine notoriété. Surtout quand celui-ci est adapté au cinéma par Danny Boyle.
Puis, en 2007, Alex Garland s’oriente vers le septième art et devient le scénariste de Danny Boyle sur le projet 28 jours plus tard. C’est ensuite en 2015 qu’Alex Garland passe de l’écriture à la réalisation quand il met en scène Ex Machina. Un long-métrage très apprécié des critiques et des spectateurs qui lui apporte instantanément une crédibilité. Et après Annihilation en 2018, Alex Garland est enfin de retour avec son nouveau film : Men.
Porté par Jessie Buckley et Rory Kinnear, Men raconte comment Harper (Jessie Buckley) décide de s’installer à la campagne après le suicide de son ex-mari. Elle s’isole alors dans la campagne anglaise, dans une immense maison, mais découvre rapidement que quelqu’un ou quelque chose est en train de la traquer.
Évidemment, comme dans ses deux précédents films, Alex Garland offre une esthétique hallucinante. Ex Machina et Annihilation étaient déjà visuellement superbes, et Men ne fait pas exception à la règle. Dès la scène d’introduction dans un appartement londonien baigné par la lumière vacillante du soleil, l’esthétique est une fois de plus marquante. Elle rappelle que Alex Garland est un cinéaste qui met toujours la performance visuelle au service de son récit. Rien n’est gratuit, chaque plan raconte quelque chose, et le tout est magnifié par une photographie superbe et travaillée.
Mais ce qui marque surtout dans Men, c’est la manière dont ses thématiques sont abordées. Men est un film post #MeToo, qui narre la condition de la femme dans notre société moderne. Œuvre proprement féministe, Men aborde la masculinité toxique d’une manière absolument viscérale. Alex Garland développe donc des thématiques fortes sans jamais se prendre les pieds dans le tapis. Il met en scène, via cette aventure fantastique et horrifique, la pression sociale du rang féminin, la pression d’une masculinité toxique omniprésente de la société patriarcale.
Par le biais des personnages incarnés par Rory Kinnear, notre héroïne subit harcèlement moral, stalking, violence physique et psychologique. En effet, dans Men, le comédien incarne tous les personnages masculins du film. Rory Kinnear est maquillé, transformé, rajeuni, vieilli, et le spectateur n’y voit presque que du feu, et notre personnage aussi. Une approche fantastique pour uniformiser les personnages masculins et la masculinité toxique. Comme si elle était dans chaque homme, chaque type de personnage, et ce même dans des composantes de la société censés être des éléments de protection et de compréhension comme la police ou l’Église.
Une façon simple de rappeler que la perversion masculine est dans tous les rouages de la société, et que la femme ne peut y trouver aucune protection. Surtout qu’Alex Garland, via les personnages des policiers (et même les personnages féminins), met en exergue la proportion de notre société à tout minimiser constamment, à atténuer un danger réel, à excuser des comportements limites, et surtout à déprécier le danger physique et moral qu’une femme affronte régulièrement.
Avec Men, Alex Garland n’oublie pas non plus de proposer quelques visions horrifiques puissantes. Même si les séquences de stalking auraient pu être plus nombreuses et plus terrifiantes, le cinéaste joue beaucoup avec la dimension du corps. Il met son personnage sous pression permanente, comme si le danger était ubiquiste et pouvait surgir derrière chaque figure masculine. Via cet homme nu qui suit l’héroïne, il modernise la thématique du croquemitaine, et lui donne une dimension contemporaine terrible.
Surtout, il propose une fin de film viscérale, dérangeante, impressionnante, où le corps prend une dimension déréglée, inhumaine, contre nature. Jusqu’à un dénouement attendu mais d’une puissance folle, où Harper va se retrouver face à la matérialisation de sa culpabilité, de ses hantises, de ses regrets, pour s’en défaire dans une violence suggérée mais jamais montrée. Un moyen pour elle de se défaire de la pression de sa société et de son propre deuil.
Ainsi, Harper doit gérer une pression sociale et personnelle toujours plus importante. Men veut, en plus de dénoncer les violences morales, physiques et sexuelles à l’encontre de la femme, mettre en avant son rôle biaisé dans notre société. Alex Garland aborde également la notion de charge mentale, de responsabilité de la femme ; notamment dans son rapport à l’amour et à l’enfance. Men aborde la culpabilité de son personnage après le décès de son ex-mari. Est-ce sa faute ? L’a-t-elle mérité ? Doit elle culpabiliser ? Alex Garland aborde ces thématiques et explique comment le regard de la société et de la masculinité peut être source de pression constante, cherchant à culpabiliser la femme pour dédouaner le genre masculin.
Harper essaye de se reconstruire, mais on lui rappelle constamment sa prétendue faute dans le décès de son ex-mari. La femme est donc réduite à vivre à travers l’homme, et plus tard, à travers l’enfant. Une thématique également abordée en fin de film, comme si la femme n’était là que pour servir époux et enfants. Men rappelle que la femme est souvent incomprise, isolée, qu’elle doit se débrouiller seule et s’affirmer sous une pression sociale permanente qui se matérialise sous de nombreuses formes différentes, de la masculinité toxique à la responsabilité permanente à l’égard des hommes. Ainsi, Men s’impose comme une œuvre profondément féministe. Un film qui utilise intelligemment l’univers de l’horreur pour raconter le quotidien de la femme face à une société patriarcale suffocante.
Men de Alex Garland au cinéma dès le 8 juin 2022. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes annonces.
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