« Spinoza et le christianisme », le temps du dialogue – La Croix

Henri Laux, philosophe et jésuite, engage un dialogue inédit avec Spinoza, le philosophe de la modernité.
Lecture en 2 min.
« Spinoza et le christianisme », le temps du dialogue
Statue en bronze de Spinoza à Amsterdam, aux Pays-Bas.
Claudine Van Massenhove/Klodien – stock.adobe.com
Spinoza et le christianisme
d’Henri Laux
PUF, 242 p., 19 €
Il est des ouvrages discrets qui marquent des étapes, dessinent un avant et un après dans la lecture d’une œuvre. Spinoza et le christianisme, écrit par Henri Laux, professeur émérite de philosophie au Centre-Sèvres Facultés jésuites de Paris, est à compter parmi ceux-là. Spécialiste de Spinoza et jésuite, esprit curieux mais posé, homme de conversation et de fidélité, le philosophe disposait de plusieurs cordes à son arc pour mener un dialogue jusqu’ici inédit entre le philosophe hollandais et le christianisme.
→ ENTRETIEN. « Spinoza, une pensée qui aide à vivre »
Inédit ? Alors que Spinoza vécut au XVIIe siècle et élabora l’une des pensées les plus novatrices de la modernité, largement relue et commentée aujourd’hui ? Il y aurait sans doute pour les chrétiens matière à s’interroger de s’en être tenus pendant tant d’années – de siècles ! – à la critique, rude et souvent sommaire, d’un philosophe accusé de rationalisme, d’athéisme et de panthéisme. Avec beaucoup de finesse et de précision, Henri Laux renverse magistralement la vapeur et donne à connaître un Spinoza inclassable, beaucoup plus complexe et intéressant sur les questions théologiques et spirituelles que ne le laissèrent penser ses contempteurs.
Henri Laux ne vise pas un concordisme facile. Il ne lime pas la pensée spinoziste pour adoucir ce qu’elle peut avoir d’abrupt et de heurtant pour la théologie chrétienne. Il expose avec sérieux sa critique des Églises de son temps, empiétant sur les prérogatives des États, opposées à la liberté de philosopher, abusant des miracles et de l’argument d’autorité. « La volonté de Dieu, cet asile de l’ignorance », résumait Spinoza d’une formule cinglante, accusant les fidèles de trop souvent imaginer ce qu’ils ne peuvent expliquer. L’ouvrage souligne aussi d’irréductibles écarts avec la dogmatique chrétienne : le refus du Dieu créateur et de la divinité du Christ, l’opposition à l’incarnation et à la résurrection…
Pourtant, Henri Laux montre combien l’étiquette d’athéisme est réductrice et simplificatrice. Il rappelle que Spinoza n’accepta jamais de son vivant d’être dit « dépouillé de toute religion », alors qu’il entendait « reconnaître Dieu comme le souverain bien, l’aimer comme tel d’une âme libre » et affirmait : « c’est là seulement que réside notre suprême félicité, notre suprême liberté ».
Tout en maintenant l’écart de Spinoza avec la foi chrétienne, Henri Laux explore avec sérénité son altérité, les échos qu’elle renvoie, les corrections et les approfondissements théologiques qu’elle rend possible, les questions qu’elle relance. On retiendra tout particulièrement sa réflexion sur la divinité, « accessible et pensable mais jamais circonscrite aux limites de notre entendement fini », relève Henri Laux. « Par sa conception de la substance, Spinoza n’assigne aucune limitation à la puissance de Dieu qu’il affirme. Il en dit l’ampleur infinie », souligne-t-il.
L’apport est aussi considérable pour ce qui touche à la compréhension du message du Christ et à la condition humaine. La théologie pourrait se nourrir de l’analyse spinoziste des passions, qu’il convient de « comprendre » plutôt que blâmer, et de sa riche compréhension de la finitude, « positive, ni humiliée, ni exaltée », note Henri Laux,
Sur nombre de questions, Spinoza se révèle essentiel parce qu’il « engage à penser davantage », résume le jésuite. Cet ouvrage, témoignage d’un dialogue philosophique exemplaire, réussit à prendre son lecteur dans cette dynamique.
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