« Ici, les personnes endeuillées se font des copains de cimetière » – La Vie

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Une Blésoise qui traverse le cimetière tous les jours, car elle aime ce lieu et que c’est un raccourci pour faire ses courses.  • NICOLAS WIETRICH POUR LA VIE
À part la sépulture immaculée du chocolatier Poulain, rehaussée d’un « Hommage au travail » en lettres capitales et encerclée de cèdres plus que centenaires, le cimetière du centre-ville de Blois n’a pas franchement de quoi détourner le touriste étranger de sa visite du château. Ni le cimetière limitrophe dit de la Forêt, construit dans les années 1980 pour tous les défunts de la Zup, entre des champs de pommes de terre et ces bois dont raffolent les chevreuils et les chasseurs.
Mais les deux sites grouillent pourtant de vie, de rencontres, d’histoires fortes que nous narrent volontiers leurs gardiens, passionnés par ce métier si singulier. « Mes habitués comme je les appelle, ce sont des gens qui viennent presque tous les jours. Ils ne voient plus personne depuis la mort de leur conjoint… sauf ici », explique Philippe Bonnin, le gardien du cimetière de la Forêt. « Ils s’y font des copains de cimetière, nettoient les tombes des uns et des autres puis viennent discuter le bout de gras avec moi. Ce lieu leur a redonné une vie sociale. »
Jeannine, retraitée, se recueille sur la tombe d’un ami enterré la semaine précédente.
• NICOLAS WIETRICH POUR LA VIE
 
Philippe est entré dans le milieu funéraire en 1993 « par vocation », d’abord aux pompes funèbres puis ici en 2002 comme gardien. Il gère le cimetière le plus « actif » de la ville, fort de 200 funérailles par an. Il est incollable sur les rites funéraires du bout du monde, qui s’offrent à lui ici, au quotidien. Comme ces Congolais qui portent eux-mêmes le cercueil de leur ami tout en dansant et en « streamant » en direct la cérémonie sur leur smartphone, pour la famille restée au pays. Ou ces Laotiens et Arméniens qui organisent un buffet debout, autour du cercueil.
Son cimetière gorgé de noisetiers accueille deux carrés musulmans. Dans le dernier repose Yanis, mort à 15 ans, en mars 2021. L’histoire retiendra que les forces de l’ordre traquaient les riverains entre 19 h et 6 h, dans la torpeur du Covid. Yanis est mort dans une course-poursuite avec la police. La voiture est allée s’écraser contre un poteau et l’adolescent, non attaché, en était le passager. S’est ensuivie une nuit de violences urbaines. Chaque jour ou presque, sa mère Fatiha se rend devant sa tombe, s’assoit sur un tabouret et diffuse une chanson, en pleurant.
Aujourd’hui, on ne met plus les « indigents » dans une fosse commune. La mairie leur paie une dalle en béton et un écriteau à leur nom. « Il y a 4 ou 5 ans, l’indigent était un jeune Italien. Il n’avait personne ici, pas de ressource. On l’a enterré, puis sa famille s’est manifestée. Ses parents sont arrivés d’Italie. Ils étaient catastrophés et ont fait rapatrier le corps. »
Philippe explique le succès de l’incinération par la peur de l’oubli. « Des gens se demandent si quelqu’un viendra longtemps fleurir ou nettoyer leurs tombes. Ils savent bien que leurs enfants vivent trop loin. » Le gardien décrit le processus de dispersion des cendres. « Ce n’est plus dans la nature comme avant. Maintenant, ça se passe dans le “jardin du souvenir”, soit un carré de galets avec une grille au-dessous. On y conserve toutes les cendres. » Ce jardin singulier attire une jeune femme qui vient y bouquiner « au moins trois ou quatre fois dans le mois ».
« Fauvette, si tu voles autour de cette tombe, chante-lui la plus douce chanson. » Lorsque les Blésois se précipitent vers la gare pour rejoindre Tours ou Orléans, ils traversent le vieux cimetière du centre-ville d’une traite et n’ont guère le temps de se laisser distraire par ces plaques rivalisant de poésie. L’une d’elles convoque René Char : « La lucidité est la blessure la plus proche du soleil. » L’illusion est souvent nécessaire pour supporter la vie et la fin de celle-ci, inéluctable.
Parfois, un pot de chrysanthèmes multicolores accompagné d’une carte suffit à interpeller le marcheur et redonner vie à une stèle tout à fait vermoulue. Dans une allée, on lit : « 1947-2022 : 75 ans de relations Blois-Lewes (Angleterre). Hommage à Monsieur Auld qui initia ces relations en créant l’échange scolaire. »
Au cimetière de Blois-ville, les employés des pompes funèbres, sous l’œil du gardien suppléant Patrick Ridor
• NICOLAS WIETRICH POUR LA VIE
 
Wilfried Serveau, 48 ans, est le gardien de ce cimetière depuis janvier 2022, après avoir été DJ de mariage, gouvernant d’une belle demeure solognote « et tellement d’autres métiers ». Il vit au cimetière, dans une maison de fonction coquette. « J’ai la garde de mes deux adolescentes une semaine sur deux. Au début, elles n’avaient pas très envie d’y dormir. Puis elles s’y sont faites, car vivre au calme et si proche de tout, c’est tellement agréable. »
En février 2020, une famille vietnamienne y enterrait le doyen. Sa stèle prend la forme d’une pagode bouddhiste de six étages. « Il y avait des victuailles, des grands crus disposés en offrandes. Et même un poulet vivant qui a fini par se faire la malle », se souvient Patrick Ridor, gardien suppléant arrivé en 1982. « Ah ça oui ! on en voit du monde », répète-t-il entre deux cigarettes roulées.
L’artiste Wolfgang Natlacen est venu fleurir une concession perpétuelle pour les 60 ans du mouvement Fluxus, le 24 septembre 2022.
• NICOLAS WIETRICH POUR LA VIE
 
Il évoque cet artiste loufoque, disciple du mouvement né dans les années 1960 Fluxus, venu fleurir une concession perpétuelle sans sépulture le mois dernier. Quarante-deux plants de sauge plantés par 48 adeptes de sa démarche artistique. « C’est la Fluxtombe, qu’on est censé photographier toutes les semaines », soupire Patrick. « Il y a quand même un corps là-dessous… Et je n’ai pas tellement saisi la beauté de la chose, mais c’était un après-midi joyeux, c’est vrai. »
L’heure est à la revégétalisation de l’espace urbain. Cimetière compris. Les paysagistes de Blois font ainsi entrer la pelouse dans les allées de cimetière, jusqu’alors recouvertes de sable ou de gravier. « Une herbe très dense, à pousse lente pour la tondre moins souvent, semée grâce à la technique de l’hydromulching, qui projette des graines et de l’engrais naturel en même temps », explique Marine Moisy, la responsable. « Cela empêche les mauvaises herbes et nécessite moins d’entretien. ».
Les souvenirs de Patrick Ridor se fixent souvent sur des moments de solidarité. Comme lorsqu’il aida un religieux canadien à retrouver 17 tombes de sa congrégation. « Il m’a dit que le bon Dieu m’avait mis sur son chemin et qu’il allait parler de moi sur Internet et dans un séminaire qu’il l’attendait aux États-Unis », rit-il.
La tombe d’Ambre, décédée dans un accident de voiture à 15 ans lors de sa toute première sortie entre amis.
• NICOLAS WIETRICH POUR LA VIE
Ce cimetière urbain n’échappe pas aux incivilités. Des vols d’eau, de plaques et de fleurs. « C’est à cause des sécheresses à répétition, mais surtout des vols, si les fleurs artificielles se généralisent », estime Wilfried. Il nous guide vers une sépulture : des plantes, des photos suspendues et une statue de panda fantasque rassemblées sous une arche de fer forgé. C’est la tombe d’Ambre, élève au lycée Notre-Dame de Blois, décédée à 15 ans dans un accident de voiture à l’été 2020. Le conducteur en avait 17 et roulait ivre, sans permis. C’était la première fois qu’Ambre avait l’autorisation de sortir. « Le garçon a pris du sursis. Dans ces conditions, c’est très difficile de faire le deuil », analyse le gardien.
Il y a quelques mois, la maman a créé une association – les Étoiles d’Ambre-Emmanuelle – pour responsabiliser les jeunes. Elle continue de ravitailler scrupuleusement de boissons et de friandises deux glacières cachées derrière la sépulture. « Comme ça, les amis d’Ambre viennent au cimetière pour la revoir, lui donner des nouvelles et passer un bon moment. »
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