Iran : Zarathoustra, le prophète qui fait peur aux mollahs – GEO

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Ce premier monothéiste de l’Histoire enseignait la liberté. Trois millénaires plus tard, devenu un symbole de l’identité perse, il inquiète toujours la République islamique.
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Si le philosophe allemand Nietzsche ne l’avait pas arraché des limbes, dans les années 1880, il est probable que Zarathoustra serait resté inconnu du grand public. D’autant plus que ce prophète du mazdéisme, l’antique religion iranienne, demeure une figure aussi floue que le Moïse de la Bible. L’homme et son message s’enracinent dans la tradition indo-européenne et sur un vaste territoire qui s’étend de l’Iran aux vallées indiennes du Gange et de l’Indus. Là, vers 1500-1000 avant notre ère, a commencé à se transmettre oralement un corpus de récits sacrés, qui allait devenir, rédigé en sanskrit, les Veda (mot qui signifie «savoir») côté indien, et, en vieil iranien, l’Avesta (mot qui signifie «éloge») côté perse. Or, si les livres védiques remplissent une bibliothèque entière, les soubresauts de l’Histoire ont réduit l’Avesta, qui aurait pu nous renseigner sur Zarathoustra (Zoroastre pour les Grecs), à l’équivalent d’un livre de poche d’environ 250 pages…
La pauvreté des sources explique les difficultés qu’éprouvent les chercheurs à situer le Zarathoustra historique. La tradition a longtemps daté son existence entre 660 et 580 avant J.-C., ce qui le relierait à ces penseurs qui, presque au même moment, entre les VIIe et Ve siècles avant J.-C., ont éveillé l’humanité : Confucius, Lao-Tseu, Bouddha, Pythagore, Socrate… Or, une étude plus approfondie de la langue des hymnes (gathas), qui constituent la partie la plus ancienne de l’Avesta et seraient l’œuvre du prophète lui-même, le situe à une époque bien antérieure. C’est aux alentours de l’an 1000 avant notre ère que l’homme aurait vécu et prophétisé.
Son nom signifie «Celui qui a de vieux chameaux». Il voit le jour, «premier enfant né le sourire aux lèvres», comme le veut une légende rapportée par Pline l’Ancien au Ier siècle après J.-C., en Médie, le «Pays des mages», dans le nord-ouest de l’actuel Iran. Il appartient au noble clan des Spitanas. Son père, Pourochaspa, semble avoir été le prêtre d’une communauté d’agriculteurs. Ayant entendu très jeune l’appel de la solitude, il abandonne la maison familiale et erre longtemps sur les hauts plateaux d’Iran, où il subit les épreuves de la tentation. Vers 30 ans, à la suite d’une extase, il se croit investi d’une mission à la fois sociale et religieuse. Il prêche d’abord en vain, puis se rend en Bactriane, une région à cheval sur les Etats actuels de l’Afghanistan, du Tadjikistan et de l’Ouzbékistan, à la cour d’un certain roi Vishtaspa, qu’il gagne à ses idées. Ses prédications se heurtent cependant à la résistance des Kavis, les dirigeants politiques, et des Karpans, les dirigeants religieux. Il meurt assassiné par un fanatique, à 74 ans, alors qu’il célébrait un office dans un temple.
Cette fin n’est peut-être pas qu’une légende. Car, pour l’époque, les idées de Zarathoustra sont révolutionnaires et ont de quoi choquer ses contemporains. De l’ancienne croyance, le prophète rejette tous les dieux sauf un : Ahura Mazda, «Seigneur sage» ou «maître attentif». Les autres divinités qui l’entouraient sont reléguées au rang d’entités subalternes, comme Asha («le bon ajustement des choses»), Vohu Manah («la bonne pensée») ou Xshasthra («la maîtrise rituelle»). Ce premier dieu unique connu de l’histoire de l’humanité est, dit son prophète, tout puissant. Il sort le monde de son chaos initial et l’organise sous la forme métaphorique d’un camp, un peu comme les nomades dressent leurs tentes. A côté de rta, la hutte du jour, du beau, du bien, se dresse druj, le foyer de la nuit, du mystère, des menaces. Cette violente opposition du jour et de la nuit, du Bien et du Mal, distingue le zoroastrisme des croyances de l’Inde védique où le jour et la nuit se succèdent harmonieusement, sans se confondre ni se supplanter.
Ce n’est pas le seul point de désaccord entre les prêtres de l’ancienne religion et le réformateur. Zarathoustra prohibe également les sacrifices de bovins et de chevaux. Il remplace ces sanglantes hécatombes par des offrandes de pain, de plantes ou de viande. Et tandis que la tradition védique ne s’intéresse pas à ce qui se passe après la mort, la survie de l’âme est au cœur des préoccupations zoroastriennes. L’Avesta, son livre sacré, est à la fois un recueil d’incantations et de préceptes moraux, dont la rigoureuse exécution place le fidèle méritant sur la route du paradis. Les textes les plus tardifs mentionnent même une fin des temps, l’apparition d’un sauveur appelé Saoshyant (littéralement «celui qui apporte un avantage») et la résurrection des corps. Des aspects qui ne sont pas sans rappeler le christianisme, que Zarathoustra semble annoncer.
Les rituels funéraires diffèrent également. Chez les zoroastriens, la terre et le feu, éléments sacrés, ne peuvent être souillés par un cadavre. Les morts ne sont donc ni enterrés ni incinérés, mais disposés au sommet de «tours du silence » (dakhma) où ils sont dévorés par les vautours. Puis les prêtres récupèrent les os et les jettent au fond d’un puits… Pour autant, les zoroastriens n’ont jamais fait du corps, ni de la matière, le siège du mal. Plus tard, ils détesteront les pratiques chrétiennes du monachisme, du célibat et du jeûne. Le monde tel que l’a voulu Ahura Mazda doit être entretenu par la procréation, la nourriture des dieux et des hommes, l’accroissement des cultures et des troupeaux. C’est une religion du bien-vivre, du mieux-être, où le feu, qui est dit fils d’Ahura Mazda, est associé à tous les rites : dans la pièce mortuaire, auprès de la tour du silence, dans la chambre où une mère vient d’accoucher et, bien sûr, dans les temples appelés «maison du feu». Il est le lien direct avec l’ordre cosmique, il éloigne les démons, bénit celui qui le nourrit et l’entretient. Et c’est une faute grave que de le laisser s’éteindre.
La victoire de Zarathoustra en Perse se manifeste par une inscription du temps des Achéménides qui commémore la victoire de Darius Ier (522-486 avant J.-C.) sur l’un de ses rivaux : «Ainsi parle Darius le roi : Ahura Mazda m’a accordé cet empire, Ahura Mazda m’a aidé jusqu’à ce que je m’en rende maître. Par la volonté d’Ahura Mazda, je tiens cet empire. » Darius se réclame donc de la religion de Zarathoustra et règne selon les préceptes du prophète. Mais c’est son fils, Xerxès, qui adopte le calendrier zoroastrien, vers 490-480 avant J.-C.
L’influence de Zarathoustra ne se limite cependant pas à l’Iran. Comme le notent les deux historiens Houchang Hahavandi et Yves Bomati (auteurs de Les Grandes Figures de l’Iran, éd. Perrin, 2015), il a aussi un «impact sur les religions juives puis chrétiennes. Les symboles qu’il a transmis, le refus des sacrifices d’animaux, l’idée d’un paradis et d’un enfer, le prêche d’une morale respectueuse de la nature […] s’y retrouvent tous». La rencontre du judaïsme et du zoroastrisme date vraisemblablement du VIe siècle avant J.-C., lorsque le prédécesseur de Darius, Cyrus, a libéré les juifs de leur captivité à Babylone et les a autorisés à rentrer en Palestine. On retrouve la trace de ces contacts dans la Bible (Livre d’Isaïe) : «Et je dis de Cyrus : il est mon berger et accomplira toute ma volonté.» L’influence qu’une des deux religions a pu exercer sur l’autre reste cependant un mystère à jamais enseveli dans les ruines de Persépolis. La destruction de la ville par Alexandre le Grand en 330 avant J.-C, et surtout de ses bibliothèques, a entraîné la disparition de documents inestimables.
De la conquête grecque jusqu’aux premiers siècles de notre ère, le zoroastrisme est plus ou moins marginalisé par d’autres croyances. Il revient en force au IIIe siècle avec les Sassanides. Cette dynastie, qui se veut purement iranienne, entreprend de restaurer les traditions de l’Empire achéménide. Tous les souvenirs de la période hellénistique sont effacés. Le zoroastrisme est promu religion d’Etat. Son livre sacré, l’Avesta, devient la base du droit et de la vie sociale. Cinquante temples du feu sont construits, dont la Kaaba de Zoroastre, une tour en pierre située dans la ville de Chiraz, dans le sud-ouest du pays. Le mage Kirdir, principal artisan de ce renouveau, peut proclamer à la fin de ce IIIe siècle : «Par moi fut consolidée la religion mazdéenne, et les hommes sages devinrent puissants dans l’empire. Les hérétiques et ceux d’entre les mages qui n’observaient pas les règles fixées reçurent de moi des châtiments.»
Car le monothéisme de Zarathoustra s’est transformé en un dualisme dur qui oppose l’esprit du Bien, Ahura Mazda (rebaptisé Ormuzd) à l’esprit du Mal, Angra Mainyu (rebaptisé Ahriman). Kirdir rétablit même les sacrifices sanglants proscrits par le prophète. Juifs et chrétiens sont persécutés, et plus encore ces zoroastriens hérétiques que sont les manichéens, disciples du prêtre Mani qui, se réclamant à la fois de Zarathoustra, Bouddha et Jésus, vise au rétablissement des Lumières contre les Ténèbres. Au Ve siècle, une féroce répression s’abat cette fois sur les mazdakistes, disciples d’un certain Mazdak. Ce dernier courant religieux privilégie les œuvres sociales, prône l’égalité des sexes et l’abolition des classes !
Dénué de tout esprit missionnaire, le zoroastrisme n’a guère dépassé les frontières de l’Empire. A la fin de l’époque sassanide, cette religion d’Etat doit affronter la conquête arabe de 642. Non que l’islam s’impose par la force. Juifs et chrétiens sont tolérés, même protégés comme «gens du Livre», et les zoroastriens se sentent si proches des musulmans (par la simplicité du culte et de la doctrine, par la révélation d’un dieu suprême à un prophète qui l’a consignée dans un livre) qu’il s’agit moins pour eux d’une conversion que d’une adaptation. Mais ils sont aussi contraints, comme les autres non-musulmans, de payer un impôt pour continuer à pratiquer leur religion. Si un petit nombre reste fidèle à la vieille religion nationale sous le nom de Guèbres (du persan gabr qui signifie «infidèles» par rapport à l’islam), des milliers d’autres, entre le VIIIe et le Xe siècle se réfugient en Inde, près de Bombay, où ils constituent bientôt la caste très prospère des Parsis (mot qui signifie «les Perses»). Ces deux communautés, les Guèbres en Iran, les Parsis en Inde, ont ainsi porté le zoroastrisme jusqu’à nos jours.
C’est comme si ce premier monothéisme de l’histoire, si peu prosélyte, avait irrigué, à proportion de sa singularité, plusieurs inconscients collectifs. La tradition grecque voit en Zarathoustra le législateur des Perses, le prince des mages, le fondateur de l’astrologie. Elle le place aux origines de sa propre sagesse en l’imaginant l’initiateur de Pythagore. Dans la tradition chrétienne, L’Evangile de Matthieu raconte le voyage des rois mages qui viennent, guidés par une étoile miraculeuse, pour honorer le Christ que leur science de magicien, d’astrologue ou d’alchimiste leur a permis de deviner. L’un deux, disciple de Zarathoustra, est au rendez-vous de la nouvelle religion.
Beaucoup plus tard, au XVIIIe siècle, la redécouverte et la traduction en français de l’Avesta fascine l’Europe des Lumières et inspire le «déisme» de certains philosophes qui cherchent une alternative au christianisme. Zoroastre, alias Sarastro, apparaît aussi dans La Flûte enchantée, l’opéra maçonnique de Mozart. Enfin le vieux mage devient, un peu abusivement, l’hôte de tous les ésotérismes.
En Iran même, la soudaine embellie que connaissent les Guèbres au cours du XXe siècle, comme représentants d’une gloire passée, est tout aussi brusquement interrompue par la révolution islamique de 1979. A Téhéran, dans le principal temple du feu, le portrait de Zarasthoustra est remplacé par celui de l’ayatollah Khomeiny. Ostracisée, la communauté se réduit et se regroupe dans les régions de Yazd, province du plateau central coincée entre deux déserts, et de Kerman, plus au sud. Vaille que vaille, ils font vivre les traditions héritées du passé. Ils pratiquent les rituels qui s’articulent souvent autour du chiffre sept, sacré car il fait référence aux sept étapes que l’homme doit franchir avant d’atteindre Dieu. Dans leurs maisons, les adorateurs du feu entretiennent la flamme qui ne doit jamais mourir. Chaque année, ils célèbrent norouz (le jour de l’an, le 20 ou le 21 mars) bien que cette fête soit considérée comme païenne par les autorités religieuses.
Si les mollahs redoutent, peut-être plus que toute autre religion, le zoroastrisme, c’est parce que de plus en plus d’Iraniens se convertissent. Davantage par esprit de résistance et par nostalgie d’un passé mythique que par conviction. En 2011, selon un recensement officiel, on comptait 25 271 fidèles, soit, déjà, 27,50 % de plus qu’en 2006. Aujourd’hui, on évalue leur nombre à 45 000, sur 80 millions d’habitants. En cette année 3754 du calendrier zoroastrien, il semble bien que Zarathoustra, comme le pensait Nietzsche, n’ait pas dit son dernier mot…
Environ 1000 av. J.-C. : Zarathoustra réforme la religion mazdéiste.
VIe-IVe siècle av. J.-C. : sous la dynastie achéménide, les prêtres (magi) se convertissent au zoroastrisme.
IIIe siècle av. J.-C. : les rois sassanides font du zoroastrisme leur religion d’Etat.
637-751 : la conquête islamique entraîne le déclin du zoroastrisme.
1960 : le Chah interdit les «funérailles célestes» pour raisons sanitaires.
1979 : les zoroastriens sont reconnus en tant que minorité religieuse par la Constitution.
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La légende noire de la secte des assassins
>>> Cet article est paru dans le magazine GEO Histoire spécial Iran (n°35).
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