Zen : Faites disparaître la peur pour trouver la paix intérieure – Psychologies.com

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02 novembre 2022 à 15:05

Être zen. Le mot s’est tellement dilué dans le discours contemporain qu’on en oublierait presque sa dimension spirituelle. Cette branche du bouddhisme se propose de nous mener vers la paix intérieure. Éric Rommeluère, moine, enseignant et lecteur éclairé des textes de la tradition zen, nous ouvre la voie.


Être zen. Le mot s’est tellement dilué dans le discours contemporain qu’on en oublierait presque sa dimension spirituelle. Cette branche du bouddhisme se propose de nous mener vers la paix intérieure. Éric Rommeluère, moine, enseignant et lecteur éclairé des textes de la tradition zen, nous ouvre la voie.
Éric Rommeluère : C’est une des branches du bouddhisme. Et c’est pour moi la plus radicale, à cause de ce qu’elle exige. À un de ses élèves qui lui posait une question, le maître zen Shunryu Suzuki avait répondu : « Vous devez abdiquer. » Quand j’ai lu ces mots, je me suis dit que ce terme d’« abdiquer » était exactement ce que je cherchais depuis des années en écrivant des centaines de pages. Le zen, c’est abdiquer. Abdiquer quoi ? Tout ce que nous sommes au sens de nos constructions imaginaires, de nos schémas intérieurs. C’est quelque chose de très fort et d’inaudible pour beaucoup, mais c’est le propos même du zen.
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E. R. : Nous construisons des représentations pour masquer deux peurs fondamentales, celles de n’être rien et de disparaître. Toute notre vie s’organise comme si tout cela allait se dérouler plus tard, voire n’existait pas. C’est cet effort d’aveuglement naturel chez tout être humain qui engendre la souffrance. Dans le zen, l’enseignement du Bouddha, ce que l’on appelle le dharma, est une voie de transformation qui cherche à en finir avec tout cela et avec les trois fléaux identifiés comme les moteurs et les causes de la souffrance humaine : la haine, l’avidité et l’ignorance. Ce point de vue est aussi celui des autres traditions tibétaines. Mais alors que ces dernières procèdent par paliers d’apprentissages successifs pour se changer, le zen demande précisément l’opposé : des non-pratiques. Tout effort pour changer nous éloigne du changement, professe-t-il. Par exemple, dans la méditation, contrairement aux autres écoles qui utilisent des méthodes de concentration, d’observation du fonctionnement de l’esprit et des pensées qui nous traversent, le zen recommande de ne rien faire et de laisser tout s’effondrer.
E. R. : Pas nécessairement. Dans le bouddhisme traditionnel et la plupart des écoles oui, mais pas dans le zen. Ryôtan Tokuda, le maître japonais dont j’ai suivi l’enseignement, a été très marqué par maître Eckhart, le grand mystique chrétien, et l’un de ses commentaires à propos du Sermon sur la montagne. Il disait en substance : « Être pauvre en esprit, c’est ne rien vouloir, ne rien savoir, ne rien avoir. » L’esprit du zen, c’est se placer dans une position où l’on ne cherche ni à posséder, ni à vouloir, ni à pouvoir. C’est une sorte de mystique, mais ce n’est pas de l’indifférence, du détachement vis-à-vis de l’existence : plus nous renoncerons à nos représentations mentales, à l’idée de se construire, plus nous laisserons tout cela s’effondrer, plus nous serons vivants et en action dans la vie.
E. R. : Le mot expérience est aujourd’hui sur toutes les lèvres. Mais quand je parle d’expérience, c’est la mienne que j’évoque, c’est « mon » expérience, quelque chose qui m’appartient, qui relève de « mon » histoire. Or, le zen consiste à aller vers un endroit où ce « mon » n’existe plus, où le moi n’a plus lieu d’être. Cela dit, la notion de vécu est effectivement présente. L’idée est de revenir à la source même de ce que nous vivons, de nous demander : « Qu’est-ce qui apparaît en moi ou devant moi ? », d’être libre de toute entrave, sans la moindre peur. Aujourd’hui, beaucoup d’entre nous vivent dans des conditions mentales difficiles, anxiogènes. Et je me dis : « Mais pourquoi ? Pourquoi ne laisse-t-on pas tomber tout cela un instant ? » Quand la peur disparaît, nous accédons au calme et à la sérénité.
E. R. : Tout le bouddhisme est imprégné par cela. Il suffit de regarder les images du Bouddha en pleine méditation avec ce léger sourire qui flotte sur ses lèvres pour le constater. Mais plutôt que de calme, je parlerais d’équanimité, c’est-à-dire du fait d’être dans un rapport non conflictuel avec soi-même, avec autrui, avec le monde. Forcément, si nous sommes dans un rapport apaisé à nous-mêmes et au monde, le calme et la sérénité sont au rendez-vous. Cette association a donc toutes les raisons d’être faite. En lisant les moines zen, vous sentirez cette profonde paix de ceux que nous appelons les bhikkhu, les « renonçants », ceux qui ont renoncé à la peur. Ils sont très tranquilles. La tranquillité, c’est vraiment l’enseignement du Bouddha et du zen.
E. R. : En cessant de s’accrocher à tout et n’importe quoi. Nos peurs nous conduisent à vouloir constamment agripper quelque chose, y compris des espoirs, des vœux, être calmes ou sereins par exemple. Nous cherchons toujours à saisir quelque chose que nous pourrions nous approprier, au moins une idée : « A h, si j’étais calme ! » Mais là encore, c’est notre propre peur qui s’exprime et le zen va à chaque fois dire : « Laissez tout cela s’effondrer ! » Et pour y parvenir, nous passons par la méditation assise, le zazen [lire p. 44]. Notre tradition met l’accent sur ce que nous appelons l’éveil, ce moment où nous sommes capables de nous dire au bout de quelques minutes ou de plusieurs années : « Ai-je besoin d’être autant encombré intérieurement ? » C’est de cet encombrement dont nous prenons la mesure dans la méditation. Notre quotidien nous pousse à avoir toujours besoin de meubler – meubler nos vies, nos espaces mentaux -, de faire carrière ou je ne sais quoi pour se donner le sentiment d’être, d’exister, de se prolonger. Notre pratique consiste à laisser tout cela s’écrouler ; et si nous allons jusqu’au bout, quelque chose se libère et nous n’avons plus besoin d’avoir peur. C’est cela le message zen.
E. R. : C’est compliqué. Parfois je me demande si le bouddhisme a encore sa place dans le monde contemporain. Certes, cela intéresse beaucoup de monde. C’est sexy : il n’y a pas de dieu, les gens sont plutôt sympas… On en parle comme d’une antireligion. Mais nous vivons une ère hyper individualiste inédite dans l’histoire de l’humanité. Mettre le moi au centre de tout, considérer ses désirs comme la valeur absolue, c’est la racine de la peur. Et le monde moderne la décuple. Écouter les leçons du zen, les mettre en pratique, s’en tenir à une approche douce peut aider à se sentir mieux, mais il faudrait pouvoir s’attaquer aux problèmes de fond : l’angoisse de mourir, celle que notre existence se soit construite et se construise sur un vide fondamental – celui de n’être rien. Notre vie intérieure est fondée sur le fait qu’il nous manque, qu’il nous manquera toujours quelque chose. Et ce manque ne pourra jamais être comblé. Nous ne sommes qu’un moment de passage. Aborder la notion de vide intérieur est la clé.
E. R. : J’ai retrouvé une citation de Freud qui est pour moi très importante. Il l’a prononcée en 1938, à propos des attaques portées contre la psychanalyse. Il affirme que sa discipline n’est pas une représentation du monde et en donne cette définition qui nous éclaire quand on aborde le bouddhisme et le zen : « Une représentation du monde est une construction intellectuelle qui résout, de façon homogène, tous les problèmes de l’existence à partir d’une hypothèse qui commande le tout, où, par conséquent, aucun problème ne reste ouvert, où tout ce à quoi nous nous intéressons trouve sa place déterminée. » La psychanalyse, ce n’est pas ça. Le bouddhisme, non plus ! Ce n’est pas une construction homogène qui va résoudre tous les problèmes de l’existence. Le zen n’a pas de vérité à nous dire. Ce qu’il nous propose, c’est un dispositif de changement, de transformation dont les discours et les méthodes visent à nous libérer de la souffrance. Ce n’est pas plus que ça, mais c’est déjà beaucoup.

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