Philosopher d'ouest en est – Le Devoir

En matière de philosophie, je n’ai jamais eu de tentation orientalisante forte. Au cégep, j’ai essayé de lire la Bhagavad-Gita, mais je n’y ai rien pigé. Plus tard, j’ai fréquenté un peu l’oeuvre de Krishnamurti, philosophe naviguant entre l’hindouisme et le bouddhisme, mais j’ai rapidement décroché devant le caractère vaporeux du propos. Le yoga et moi, enfin, ça ne colle pas. Au lieu de m’apaiser, cette pratique me stresse.
Aussi, quand on me chante les vertus de la notion bouddhiste de non-attachement aux êtres et aux choses, je réplique par cette conclusion formulée par Luc Ferry dansSagesses d’hier et d’aujourd’hui (Flammarion, 2014) : « Je suis trop attaché à l’amour et aux personnes pour être séduit par le bouddhisme, et tant pis s’il faut souffrir : pas plus que je ne me jetterai à l’eau pour éviter la pluie, je n’abandonnerai l’amour humain pour ne pas être voué à la souffrance. » Ma pensée, c’est clair, doit presque tout à la tradition occidentale, qui inclut le christianisme.
J’ai, cela admis, assez lu Nietzsche et Schopenhauer avec intérêt pour ne pas mépriser le bouddhisme, une doctrine à laquelle ces deux philosophes, surtout le second, rendent souvent hommage. L’idée d’aller chercher dans la tradition orientale des éléments à même de faire ressortir les angles morts de la tradition occidentale, et vice versa, ne me déplaît pas. C’est là le projet auquel se livre le professeur de philosophie Jacques Senécal dans Philosophies occidentales et sagesses orientales. Une approche amoureuse (Liber, 2017), un bel essai de vulgarisation qui entend « donner à sentir la richesse et la profondeur de deux traditions dont la rencontre, à plusieurs reprises concrétisée d’ailleurs au cours de l’histoire, est source d’épanouissement ».
Une première distinction entre les deux traditions saute aux yeux : en Occident, la pensée s’attache beaucoup à « des explications abstraites du réel », alors qu’en Orient, elle se présente plutôt comme « une activité plus concrète que théorique telles une éthique vécue et une spiritualité expérientielle constituées d’un sens ». C’est la raison pour laquelle Senécal parle de « philosophies » occidentales et de « sagesses » orientales. Dans les premières, le souci rationaliste domine, alors que, dans les secondes, c’est le « savoir empirique », incarné par un maître, qui prévaut.
On remarquera que l’axe central des philosophies occidentales est le rationalisme, alors que c’est le savoir empirique du “maître”, rinpotché ou mahatma, qui prévaut dans presque toutes les sagesses orientales
Les philosophies occidentales, en général, craignent l’impermanence, pourtant postulée par Héraclite qui affirmait que « tout est changement », et cherchent à définir des substances et des essences fixes et précises en créant des concepts (l’Homme, l’âme, etc.). Les sagesses orientales, à l’opposé, s’accommodent du devenir perpétuel, professent l’interdépendance de tout ce qui constitue le réel et reposent sur l’idée que la voie à suivre (le tao) est « un vécu, une expérience existentielle et spirituelle, qui ne se communique que par l’expérience, et non par des concepts », explique Senécal. Dans le premier cas, ajouterais-je, la dérive scientiste guette, alors que, dans le second, nul n’est à l’abri des gourous douteux.
Le choc entre les deux traditions ressort avec force quand il est question du moi et de la liberté. Dans les philosophies occidentales, la valeur de l’individu est sacrée, ce qui mène à la fois aux droits de l’Homme et à l’égocentrisme. Dans les sagesses orientales, le moi individuel est vu comme « une construction illusoire dont il faut se libérer », ce qui permet de combattre l’égoïsme au profit du sens communautaire, mais s’arrime mal au respect des droits individuels.
Le sujet occidental, doté d’un libre arbitre, recherche l’autonomie en s’émancipant des contraintes extérieures, résume Senécal. Dans les traditions orientales, la sagesse consiste à se déprendre de son ego pour s’harmoniser avec les déterminismes afin d’« accepter le réel tel qu’il est ».
Luc Ferry, dans 7 façons d’être heureux (XO, 2016), conteste cette sagesse. « Peut-on vraiment, écrit-il […], garder le sourire quand on prend conscience que le mal absolu, et avec lui le malheur absolu, sans aucun salut possible, sont là, à quelques pas de nous, ici et maintenant ? » Bien au fait de cette objection, Senécal réplique que « l’acceptation du réel n’est pas un renoncement à combattre l’ignorance et la bêtise ». Dans ce dossier, la logique de la sagesse orientale m’apparaît dure à suivre.
Il reste que Senécal, qui aime cette sagesse et la présente comme un antidote écologiste à une tradition occidentale imbue de son rationalisme conquérant, fait oeuvre utile et charmante en la vulgarisant.
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